Quelques jours après la loi du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon (Voir notre article à ce sujet), a été promulguée la loi N°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite loi Hamon.
Parmi les avancées de cette loi, figurent l’introduction en droit français d’une action de groupe, des dispositions destinées à améliorer l’information et à renforcer les droits contractuels des consommateurs, notamment dans le cadre du démarchage ou de la vente à distance ou dans le domaine de la restauration avec l’encadrement de la mention « fait maison », des avancées en matière de crédit à la consommation ou de contrats d’assurance, un renforcement des pouvoirs des autorités chargées de la concurrence, une aggravation des sanctions pénales au Code de la consommation, etc.
Mais nous souhaitons bien évidemment évoquer ici les modifications que cette loi provoque dans le domaine de la propriété intellectuelle, principalement en créant des indications géographiques nationales pour les produits manufacturés et en instituant au profit des collectivités locales des mécanismes de protection de leur nom (1).
De nouvelles indications géographiques
C’est sans doute l’aspect le plus révolutionnaire de la loi Hamon en matière de propriété industrielle, bien qu’une certaine organisation et un certain délai soient nécessaires avant qu’il puisse être mis en œuvre (les décrets d’application sont attendus d’ici l’été 2014). Il s’agit de l’ouverture du régime des indications géographiques aux produits industriels et artisanaux (nouveaux articles L.721-2 à L.721-10 du CPI).
Grâce à ces nouvelles dispositions, la France se dote d’un arsenal juridique original et innovant pour protéger les savoir-faire industriels nationaux, régionaux ou locaux et lutter contre ce qui jusqu’à présent relevait d’une sorte de parasitisme d’image ou de renommée (2) à leur préjudice.
Selon l’article L.721-2, « constitue une indication géographique la dénomination d’une zone géographique ou d’un lieu déterminé servant à désigner un produit, autre qu’agricole, forestier, alimentaire ou de la mer, qui en est originaire et qui possède une qualité déterminée, une réputation ou d’autres caractéristiques qui peuvent être attribuées essentiellement à cette origine géographique. »
La définition est donc sensiblement identique à celle qui était jusqu’alors réservée aux appellations d’origine (3).
C’est l’INPI qui sera chargé d’attribuer les nouvelles indications géographiques, en homologuant un cahier des charges qui devra préciser, entre autres, le produit concerné, la zone géographique à laquelle il est associé, la qualité, la réputation, le savoir-faire traditionnel ou les autres caractéristiques que possède le produit, son processus d’élaboration, de production et de transformation. Après homologation, la défense et la gestion d’un produit bénéficiant d’une indication géographique seront assurées par des organismes privés dotés de la personnalité morale.
La décision d’homologation de l’INPI, accompagnée du cahier des charges correspondant, sera publiée au Bulletin officiel de la propriété industrielle et un opérateur ne pourra se prévaloir d’une indication géographique que s’il est membre de l’organisme de défense et de gestion de cette indication géographique et est inscrit sur une liste également conservée par l’INPI et publiée au BOPI.
Bien évidemment, l’atteinte portée à ces nouvelles indications géographiques est qualifiée de contrefaçon et entre à ce titre dans le champ des dispositions de l’article L.722-1 du CPI, récemment remanié par la loi du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon.
En outre, les indications géographiques font dorénavant partie des droits antérieurs qui constituent un obstacle à l’adoption d’un signe en tant que marque (modification de l’article L.711-4, d, CPI) et les organismes de défense et de gestion des indications géographiques pourront former opposition à l’enregistrement d’une marque (nouvel article L.712-4, 4°, CPI).
Il faudra donc tenir compte de ces nouveaux droits dans le cadre des recherches d’antériorités effectuées en amont d’un dépôt de marque française ou de marque communautaire, pour éviter de mauvaises surprises.
Enfin, l’article L.713-6 du CPI aménage les circonstances de coexistence entre une marque enregistrée et une indication géographique identique ou similaire en prévoyant que « l’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme : […] c) Indication géographique définie à l’article L.721-2, sauf lorsque la marque, compte tenu de sa renommée, de sa notoriété et de la durée de son usage, est à l’origine exclusive de la réputation ou de la connaissance par le consommateur du produit pour lequel une indication géographique est demandée. »
Toutefois, comme pour les autres cas d’usage concernés par cet article (dénomination sociale, nom commercial, enseigne ou référence nécessaire), il est aussi indiqué que, « si cette utilisation porte atteinte à ses droits, le titulaire de l’enregistrement peut demander qu’elle soit limitée ou interdite. »
Les implications de cette nouvelle disposition ne sont pas évidentes à cerner. Mais le législateur a semble-t-il voulu prévoir que, lorsqu’une marque portant sur un nom géographique a été enregistrée et exploitée pendant un certain temps et qu’elle a à elle seule contribuer à faire connaître ce nom géographique (qui peut être le nom d’une commune, d’une localité, d’une région, etc.), la marque pourra toujours être opposée à celui ou ceux qui font usage d’une indication géographique, même si cette dernière a pu être officiellement reconnue. Cela semble aussi vouloir dire que le propriétaire d’une telle marque pourra demander (vraisemblablement en justice car il n’existe pas de procédure d’opposition propre aux indications géographiques mais une simple enquête publique) à ce que l’indication géographique soit, dans un tel cas, purement et simplement interdite.
Une meilleure protection des noms des collectivités territoriales
La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation amende le Code de la propriété intellectuelle dans sa partie consacrée aux marques (Livre VII, Titre Ier) en créant de nouveaux attributs juridiques pour les noms des collectivités territoriales.
Le nom, l’image ou la renommée d’une collectivité territoriale faisaient déjà partie des droits antérieurs susceptibles d’être opposés à une marque. Cependant, pour faire valoir de tels droits, les collectivités territoriales n’avaient d’autre choix que de saisir les tribunaux, a posteriori, pour requérir la nullité d’un enregistrement.
Désormais, les collectivités territoriales pourront former opposition à la marque avant son enregistrement soit au titre d’une atteinte à leur nom, à leur image ou à leur renommée, soit même au titre d’une atteinte à une indication géographique, dès lors que cette indication comporte le nom de la collectivité concernée (nouvel article L.712-4, 3°, CPI).
La possibilité de recourir à la procédure administrative d’opposition qui se déroule devant l’INPI est sans conteste une avancée majeure pour les collectivités puisqu’elle permet une réaction a priori, avant l’enregistrement, et donc bien souvent également avant le commencement de l’exploitation de la marque litigieuse, génératrice d’un préjudice ne serait-ce que d’image. Elle est en outre bien moins coûteuse qu’une procédure judiciaire.
Cette ouverture de la procédure d’opposition en faveur des collectivités territoriales pose néanmoins question. Une marque est en effet demandée, et le cas échéant enregistrée, pour s’appliquer à certains produits et services spécifiquement désignés (principe de spécialité). Or, par hypothèse, le nom, l’image ou la notoriété d’une collectivité territoriale ne sont pas nécessairement associés à des produits et services bien déterminés.
Est-ce à dire que les collectivités territoriales pourront s’opposer à tout dépôt de marque, quels que soient les produits et services visés ? Leur capacité de réaction sera-t-elle limitée aux cas où elles pourront justifier que leur nom est effectivement associé voire renommé en relation avec les produits et services visés par la marque demandée ?
Quoiqu’il en soit, les futurs déposants devront tenir compte de cette évolution législative et anticiper les risques dans leurs recherches d’antériorités.
D’autant plus qu’un article L.712-2-1 est créé pour permettre aux collectivités de demander à l’INPI de les alerter en cas de dépôt d’une demande d’enregistrement d’une marque contenant leur dénomination ou un nom de pays se situant sur leur territoire géographique. En d’autres termes, les collectivités territoriales pourront mandater l’INPI pour assurer un service de surveillance de leur dénomination (4).
L’ensemble des nouvelles dispositions introduites par la loi Hamon en droit de la propriété industrielle peut donc être regroupé sous le concept d’une protection renforcée accordée aux noms géographiques.
Et cette protection renforcée devrait à l’évidence avoir des répercussions très concrètes dans les prochaines années. Car nul doute par exemple que nombre de communes chercheront à sauvegarder leur dénomination ou le savoir-faire de leur localité face à des exploitants désireux de tirer profit de son image. On songe par exemple à la commune de Laguiole, qui s’était dit dépossédée de son nom par un tiers qui l’avait déposé à titre de marque, et qui semble aujourd’hui loin d’être sortie d’affaire (5). Ces communes pourront à l’avenir s’opposer à des demandes d’enregistrement de marques mais également tenter de faire reconnaître de nouvelles indications géographiques y compris sur des produits industriels et artisanaux.
Cela étant, la promulgation de cette nouvelle loi est également l’occasion de rappeler que les collectivités territoriales peuvent aussi recourir au droit des marques pour leur propre compte, de façon préventive pour empêcher des tiers de s’approprier leur nom, mais également de façon prospective, pour mieux maîtriser et valoriser leur image. De telles stratégies, qui peuvent apparaître quelque peu mercantiles ou commerciales à première vue pour des personnes morales de droit publiques, s’avèreraient au contraire bien souvent plus réalistes pour lutter efficacement contre les usages non autorisés.
© [INSCRIPTA]
(1) La nouvelle loi institue également un instrument de protection des signes distinctifs relatifs à un service public dans le domaine des publicités et pratiques commerciales relatives aux prestations de dépannage, réparation et entretien dans le secteur du bâtiment et de l’équipement de la maison. Sont créés les articles L.731-1 à L.731-4 du Code de la propriété intellectuelle, sous un nouveau titre intitulé « Indications relatives aux services publics ».
(2) Nous avions abordé cette question dans notre article sur le Savon de Marseille.
(3) Article L.115-1 du Code de la consommation, repris par l’article L.721-1 du CPI : « Constitue une appellation d’origine la dénomination d’un pays, d’une région ou d’une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains. »
(4) Sans savoir pour l’heure si ce service d’alerte sera payant pour les collectivités, cela peut aboutir à favoriser les collectivités par rapport aux titulaires de marques qui, eux, doivent surveiller eux-mêmes le registre de l’INPI pour s’assurer que des tiers ne déposent pas de marques identiques ou similaires aux leurs.
(5) Une décision vient d’être rendue par la Cour d’appel de Paris, déboutant la commune de l’ensemble de ses demandes (CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 4 avril 2014, RG 12/20559).
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Une version de cet article a également été publié sur le Village de la Justice.