Les mots confiance et confidentialité ont beau partager la même racine latine, ils ne sont pas pour autant synonymes. Et se méprendre sur ce point peut avoir de graves conséquences dans la vie des affaires, et en particulier dans le domaine de la propriété intellectuelle.
C’est ce que viennent d’apprendre à leurs dépens les copropriétaires d’un brevet européen et d’un brevet français portant respectivement sur un « dispositif de stockage et de distribution de pièces, notamment des rivets » et un « dispositif de distribution unitaire de pièces telles que les rivets et procédé mis en œuvre ».
La brevetabilité d’une invention suppose entre autres, mais sans aucun doute principalement, que cette invention soit nouvelle (1). Or « une invention est considérée comme nouvelle si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique » et « l’état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen » (2).
Cela signifie donc que toute divulgation de l’invention antérieurement au dépôt de la demande de brevet pourra détruire sa nouveauté et provoquer, soit le refus de délivrance du brevet par l’office, au stade de l’examen de la demande de brevet, soit l’annulation du brevet par les tribunaux, lorsque le brevet aura été délivré.
Dans l’affaire commentée (3), les copropriétaires des brevets reprochaient à un de leurs anciens partenaires d’avoir brutalement rompu leurs relations commerciales. Ils l’avaient donc assigné en contrefaçon afin de lui faire interdire la poursuite de l’exploitation de leurs brevets. C’est en réplique que le défendeur souleva la nullité des principales revendications des brevets en cause pour défaut de nouveauté.
En effet, les demandeurs lui avaient adressé, plusieurs mois avant le dépôt de chacune des demandes de brevets, des prototypes de leurs inventions dont il n’était pas contesté qu’ils divulguaient le contenu des revendications en cause. Ils soutenaient cependant que la communication de ces prototypes avait été faite uniquement dans le cadre de tests et sous couvert de confidentialité.
Or, ainsi que le rappela la cour d’appel, « l’article L.611-13 du Code de la propriété intellectuelle dispose qu’une divulgation de l’invention n’est pas prise en considération notamment si elle résulte directement ou indirectement d’un abus évident à l’égard de l’inventeur ou de son prédécesseur en droit, tel que notamment la violation d’une obligation de confidentialité des informations transmises sur les caractéristiques de l’invention ». Mais encore faut-il que le breveté prouve l’existence d’une telle obligation de confidentialité.
Ce que les copropriétaires des brevets ne furent pas en mesure de faire en l’espèce. Suivant et adoptant le raisonnement des juges du fond, la Cour de cassation releva que les éléments transmis par les brevetés à leur partenaire « ne faisaient nullement référence à une obligation de confidentialité ». Une clause de confidentialité avait bien été signée entre eux mais dans un autre cadre contractuel portant sur un dispositif différent. En outre, « l’obligation de confidentialité, étant d’interprétation stricte, ne saurait résulter implicitement de l’existence de relations commerciales ». Enfin, quand bien même « un écrit n’est pas nécessaire pour parvenir à un accord de confidentialité, la preuve d’entretiens ou de contacts verbaux qui auraient eu un tel objet n’est pas fournie » (4).
C’est ainsi que l’excès de confiance, ou la force de l’habitude, dus à des relations commerciales qui semblent bien établies sont susceptibles de provoquer la perte de titres de propriété industrielle sans aucun doute importants dans la stratégie d’une entreprise.
Quelles que soient les relations d’affaires qui unissent les sociétés les unes aux autres, la confidentialité ne doit pas être une option en matière de propriété intellectuelle.
© [INSCRIPTA]
(1) Article L.611-10 du Code de la propriété intellectuelle.
(2) Article L.611-11 du Code de la propriété intellectuelle
(3) Cour de cassation, Chambre commerciale, 17 mars 2015 (Pourvoi K/2013/15862), cassation partielle de Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1ère chambre, 12 décembre 2012 (RG 2010/19186) ; nous ne commentons la décision que dans son aspect intéressant la notion de nouveauté des inventions ; les faits sont par ailleurs simplifiés par souci de clarté.
(4) Il est précisé également que la mention de propriété assortie de formules d’usage interdisant notamment toute reproduction, figurant sur les documents transmis, ne saurait être assimilée à une clause de confidentialité.
Cet article a également été publié sur le Village de la Justice.