Marque communautaire BATEAUX MOUCHES: touchée mais toujours pas coulée

28 Août 2015 | Marques, Toutes

La saga de la marque BATEAUX MOUCHES dure depuis plus de 10 ans et le moins que l’on puisse dire est que la Compagnie des Bateaux Mouches est constante et persévérante dans sa volonté d’obtenir la protection communautaire de sa marque.

Saison 1

Une première marque BATEAUX MOUCHES visant des « Transports par bateaux touristiques et de plaisance , Divertissements  et Hôtellerie et restauration à terre ou à bord de bateaux pour la navigation touristique et de plaisance » avait été enregistrée en 2002 par l’office des marques communautaires (OHMI), puis annulée en 2008 (1) suite à une action formée en 2004 par un concurrent pour défaut de distinctivité, le public pertinent comprenant « le signe verbal BATEAUX MOUCHES comme se référant dans son ensemble aux services de transport par bateaux touristiques et de plaisance, ainsi que de divertissement et de restauration et d’hôtellerie assurés à bord de ce type de bateaux ».

Le titulaire n’avait alors pas réussi à démontrer devant l’office communautaire que sa marque BATEAUX MOUCHES avait acquis pour les services contestés un caractère distinctif par l’usage qui en avait été fait entre la date de dépôt et la date de l’action en nullité engagée à son encontre.

Saison 2

En 2007, alors que l’action en nullité ci-dessus était encore en cours, la Compagnie a déposé la marque  pour les mêmes activités de transports par bateaux touristiques et de plaisance, divertissements, hôtellerie et restauration à terre ou à bord de bateaux pour la navigation touristique et de plaisance. La marque a cette fois été refusée à l’enregistrement par l’office.

Le Tribunal, saisi par le déposant, confirme le refus (2) :

  • « La circonstance que la requérante ait été la première société à avoir adopté en 1950 le terme « bateaux-mouches » en tant que marque pour désigner des activités de tourisme fluvial ne permet pas d’exclure que la marque en cause soit devenue, par la suite, la dénomination commune des bateaux destinés au transport de voyageurs par voie fluviale à des fins touristiques. (…) Le nom d’un véhicule, quel qu’il soit, ne pouvait être considéré comme distinctif pour des services dont le public pertinent savait qu’ils étaient habituellement proposés ou habituellement proposables à son bord. »
  • Malgré les preuves d’une politique de défense très active du titulaire de la marque, « les documents témoignent également de l’utilisation très large, en France et en Belgique, du terme « bateau(x)-mouche(s) » dans un sens générique. »
  • Enfin, le fait que l’office communautaire ait parallèlement (et de façon incohérente) enregistré la marque BATEAUX MOUCHES pour les mêmes services en 2012 à l’occasion d’un nouveau dépôt est inopérant, en application du principe de légalité, selon lequel « il ne saurait y avoir d’égalité dans l’illégalité ».

Saison 3

Le Tribunal vient de statuer (3) sur la validité de la marque BATEAUX MOUCHES, cette fois déposée pour les « Services de construction navale et plus particulièrement de bateaux touristiques et parties constitutives de ces bateaux ». Les motifs et la décision sont dans la droite lignée de la précédente jurisprudence :

  • La marque étant composée de mots de la langue française, le public de référence est celui parlant cette langue, ici, le public professionnel francophone du secteur de la construction navale, bien informé, attentif et avisé, sur le territoire de l’Union, et non celui auquel peuvent s’adresser les services, à savoir les touristes étrangers ne maîtrisant pas forcément le français ; cette appréciation est cohérente compte tenu des services visés en classe 37; lorsque différentes catégories sont concernées, notamment professionnels et non professionnels, il suffit que la marque soit descriptive pour une partie du public pour qu’elle ne soit pas valable.
  • Le Tribunal confirme ensuite l’analyse de la chambre de recours qui a considéré que, « étant donné que le terme « bateaux-mouches » peut être facilement compris par le public francophone pertinent comme l’indication d’un moyen de navigation à bord duquel les touristes sont transportés, il s’ensuit que ce même public pourrait croire que le signe demandé indique que les services pour lesquels son enregistrement est demandé sont destinés à la réalisation d’embarcations fluviales aptes à transporter des touristes ».
  • La requérante ne parvient toujours pas à rapporter la preuve que le public pertinent, à savoir cette fois-ci les constructeurs d’embarcations fluviales en France, en France, en Belgique ou au Luxembourg, connaissaient le terme « bateaux-mouches » en tant qu’indication commerciale de services de construction navale.
  • La marque n’est donc pas distinctive appliquée aux services de construction navale et plus particulièrement de bateaux touristiques et parties constitutives de ces bateaux.

Ce qu’il faut retenir

La marque n’est pas un bien acquis pour toujours, il faut la défendre contre toute utilisation par des tiers, commerciale ou non, qui pourrait l’affaiblir ou en diluer la valeur, ce qui implique une surveillance particulière et active. Pour autant, si cette surveillance active empêche un terme à l’origine distinctif de devenir usuel et donc de rester une marque valable, elle ne permet pas à un signe descriptif de devenir une marque valable.

Il arrive qu’un signe générique soit enregistré à titre de marque par un ou des offices. Il est possible alors que ce signe puisse jouer son rôle de signe distinctif du fait de l’usage qui en est fait par son titulaire. Mais des efforts et des investissements commerciaux et en termes de communication intenses et constants sont nécessaires avant que la marque devienne suffisamment connue auprès des milieux concernés (4) pour pouvoir la citer dans le cadre de sondages d’opinion, afin que les tribunaux saisis puissent considérer sans le moindre doute que le signe est bien devenu une marque auprès du public du fait de l’usage qui en a été fait. Les cas existent (5) mais restent rares.

Entre marque évocatrice facile à associer au produit et marque arbitraire facile à défendre, difficile pour les titulaires de faire mouche !

© [INSCRIPTA]

(1) Tribunal de l’Union européenne, 10 décembre 2008, aff. T-365/06, Compagnie des bateaux mouches SA c/ OHMI et Jean-Noël Castanet.

(2) Tribunal de l’Union européenne, 21 mai 2014, aff. T-553/12, Compagnie des bateaux mouches SA c/ OHMI.

(3) Tribunal de l’Union européenne, 26 mars 2015, aff. T 72/14, Compagnie des bateaux mouches SA c/ OHMI.

(4) Les critères définis par la Cour dans l’arrêt du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, C-108/97 et C-109/97 sont : la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de l’usage de cette marque, l’importance des investissements faits par l’entreprise pour la promouvoir, la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit ou le service comme provenant d’une entreprise déterminée grâce à la marque ainsi que les déclarations de chambres de commerce et d’industrie ou d’autres associations professionnelles.

(5) Voir notamment concernant la marque VENTE PRIVEE, la décision de la Cour d’appel de Paris du 31 mars 2015, RG 13/23127, SAS VENTE-PRIVEE.COM c/ SARL SHOWROOMPRIVE.COM.

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