Réserver le nom de domaine d’un concurrent, est-ce une démarche licite et conforme aux usages loyaux de la vie des affaires ?
Poser la question sous cette forme est en partie y répondre et osons espérer que, parmi nos lecteurs, la très grande majorité se doute déjà de la conclusion de notre article. Alors, trêve de suspense : évidemment non, le fait de réserver le nom de domaine d’un concurrent ne peut s’inscrire que dans une démarche visant, au mieux, à le déstabiliser et à parasiter sa communication, au pire, à détourner frauduleusement sa clientèle.
Pourquoi poser la question dans ce cas ? Et bien parce que cela ne semble pas si évident à tout le monde.
Contrairement à une marque enregistrée, un nom de domaine n’est pas un titre de propriété industrielle. Un nom de domaine ne confère donc pas de droit de propriété industrielle. Le nom de domaine identifie seulement une adresse de site internet. Il joue donc en quelque sorte le rôle d’une enseigne commerciale ou institutionnelle dans le monde virtuel.
Ainsi, inscripta.fr est l’enseigne institutionnelle de l’entité [INSCRIPTA] qui permet d’accéder au site internet www.inscripta.fr.
N’étant pas un titre de propriété industrielle qui s’acquiert, le nom de domaine ne jouit pas d’une protection légale a priori. En revanche, le nom de domaine, comme tout nom commercial ou toute enseigne commerciale, peut être défendu, a posteriori et sous certaines conditions, dans des cas où un comportement fautif pourra être caractérisé à l’endroit d’un tiers malveillant. C’est l’hypothèse de la concurrence déloyale.
Dans la plupart des affaires opposant le propriétaire et exploitant d’un nom de domaine à un tiers faisant usage d’un nom de domaine identique (par exemple, inscripta.attorney contre inscripta.lawyer où seule l’extension change) ou très proche (par exemple inscripta.fr contre in-scripta.fr), de nombreux facteurs doivent être pris en compte et analysés pour déterminer si les critères de la concurrence déloyale sont réunis et si une condamnation est encourue de ce chef.
Principalement, il faudra rechercher si le plaignant a bien une antériorité sur le défendeur, si les noms sont bien identiques ou très similaires, si les produits ou les services promus ou vendus sur les sites internet relèvent bien des mêmes activités, si le nom de domaine premier n’est pas totalement descriptif des activités exercées par les parties, si un risque de confusion est à craindre pour le public et donc un risque de détournement de la clientèle du plaignant, si le plaignant subit ou risque de subir un préjudice notamment commercial, si le défendeur a commis une faute en réservant le nom de domaine litigieux, que le préjudice du plaignant est bien la conséquence des agissements du défendeur, etc. S’ensuivent le plus souvent des débats judiciaires fastidieux et des conflits parfois difficiles à trancher car la preuve d’une faute du défendeur n’est pas toujours aisée à rapporter.
Mais dans l’affaire récemment jugée par la Cour de cassation qui a inspiré cet article (Chambre commerciale, 2 février 2016), les faits étaient beaucoup plus simples car il s’agissait d’un seul et même nom de domaine.
La société de vente et de restauration d’instruments de musique LES VENTS DU NORD exploitait un magasin à Lille sous la dénomination sociale, le nom commercial et l’enseigne LES VENTS DU NORD et possédait le nom de domaine lesventsdunord.fr. Ne l’ayant pas renouvelé, elle s’aperçut le lendemain de sa retombée dans le domaine public qu’il avait été réservé par une société concurrente exploitant un magasin à quelques centaines de mètres.
Pourtant, la société concurrente ne se dénommait nullement LES VENTS DU NORD.
Difficile, dans ces circonstances, de plaider la bonne foi.
C’est sans doute la raison pour laquelle le concurrent indélicat a essayé d’échapper à la condamnation en invoquant que le nom de domaine n’avait jamais été vraiment exploité par la société LES VENTS DU NORD mais les juges ont considéré à raison que la mise en ligne d’une page dite « en construction » qui renseignait entre autres sur les activités exercées, sur les coordonnées de la société et qui permettait de la contacter, était un acte d’exploitation suffisant.
Le comportement du concurrent était donc indubitablement fautif. Et la Cour de cassation, faisant référence à la décision de la cour d’appel, de juger que « le rachat de ce nom de domaine, dès le lendemain du jour où il était tombé dans le domaine public, […] par la société XXX, laquelle exerce la même activité, très spécialisée, dans un magasin situé dans la même ville, à 700 mètres de distance, qui n’était pas fortuit, était de nature à faire naître une confusion dans l’esprit du public entre les deux sociétés afin de capter la clientèle de la société Les Vents du Nord ».
Internet peut paraître virtuel mais ce n’est pas une raison pour faire sur internet ce que l’on n’oserait pas faire dans la vie « réelle » des affaires.
© [INSCRIPTA]