Une récente décision de la Cour de cassation semble admettre le principe selon lequel la protection d’œuvres au titre du droit d’auteur pourrait céder devant le principe de la liberté d’expression artistique.
A l’origine de cette affaire, un artiste peintre avait reproduit dans ses œuvres trois photographies, sans l’autorisation du photographe. Le 18 septembre 2013, la cour d’appel de paris avait condamné cet artiste à payer au photographe la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des atteintes à ses droits patrimoniaux et à son droit moral d’auteur.
L’artiste peintre avait tenté de se défendre sur deux fronts. Il avait contesté l’originalité des photographies reproduites (1) et, subsidiairement, fait valoir entre autres que la protection des photographies en cause par le droit d’auteur ne pouvait néanmoins faire obstacle à sa liberté d’expression artistique (2).
Le premier moyen n’avait pas convaincu les juges du fond. Au contraire, après examen détaillé des photographies, qu’elles appartiennent ou non au genre publicitaire (3) ou glamour, les juges avaient considéré que « les choix ainsi opérés traduisent, au-delà du savoir-faire d’un professionnel de la photographie contribuant à valoriser des produits du commerce dans une revue de mode, un réel parti-pris esthétique empreint de la personnalité de leur auteur ».
Toujours devant la cour d’appel, le second moyen n’avait pas eu non plus l’efficacité escomptée par l’artiste peintre. Il soutenait que « le but poursuivi était d’utiliser des images publicitaires en les modifiant afin de provoquer « une réflexion, un contraste conduisant à détourner le thème et le sujet initial exprimant quelque chose de totalement étranger » ». Mais la cour avait considéré que « l’exercice de la liberté d’expression artistique est cependant susceptible d’être limité pour protéger d’autres droits individuels et la reprise de visuels qu’un auteur entendrait contester à travers sa propre création ne saurait raisonnablement lui permettre d’occulter les droits de l’auteur de ces visuels » et que « les droits sur des œuvres arguées de contrefaçon ne sauraient en effet, faute d’intérêt supérieur, l’emporter sur ceux des œuvres dont celles-ci sont dérivées, sauf à méconnaitre le droit à la protection des droits d’autrui en matière de création artistique ».
Pourvoi ayant été formé contre cet arrêt, c’est précisément sur ce point et sur cette formulation même, que la Cour de cassation sanctionna les juges du fond dans son arrêt du 15 mai 2015 (4).
Au visa de l’article 10§2 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (5), les juges suprêmes cassèrent l’arrêt de la cour d’appel de Paris pour n’avoir pas expliqué « de façon concrète en quoi la recherche d’un juste équilibre entre les droits en présence commandait la condamnation qu’elle prononçait ».
En d’autres termes, la Cour de cassation admet que la liberté d’expression artistique de l’un puisse être contrainte par les impératifs liés à la protection des droits d’auteur de l’autre, mais encore faut-il que cela soit clairement justifié par une analyse in concreto.
Partant, il fait également peu de doute que la Cour de cassation admet la possibilité inverse, à savoir que la protection d’œuvres au titre du droit d’auteur puisse céder devant le principe de la liberté d’expression artistique.
Tout dépendra des cas d’espèces, au premier rang desquels le cas présent puisque la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Paris dans toutes ses dispositions et renvoyé les parties devant la cour d’appel de Versailles.
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(1) Car sans originalité des photographies, pas de droit d’auteur au profit du photographe et, sans droit d’auteur du photographe, pas de faute à reproduire les photographies sans son autorisation.
(2) L’artiste peintre avait aussi invoqué l’exception de parodie, le droit de citation et le caractère accessoire de l’utilisation réalisée.
(3) Les photographies vantaient le mérite de marques de produits cosmétiques.
(4) Cour de cassation, chambre civile 1, 15 mai 2015, pourvoi N°13-27391. Le pourvoi était cependant rejeté en ses trois premières branches, sur la question de l’originalité des photographies.
(5) Au sujet de la liberté d’expression : « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »