Dans une affaire jugée le 19 février 2013 (Fredrik NEIJ et Peter SUNDE KOLMISOPPI contre la Suède, requête n°40397/12), la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté la requête déposée par deux des fondateurs du site internet The Pirate Bay qui estimaient qu’une décision de la justice suédoise de les condamner respectivement à dix et huit mois d’emprisonnement et au versement de près de 5 millions d’euros de dommages-intérêts pour contrefaçon de droits d’auteur avait méconnu leur droit fondamental à la liberté d’expression.
Au terme d’une procédure judiciaire suédoise commencée en 2008, ces deux personnes avaient en effet été condamnées pour leur rôle actif dans la création et le fonctionnement du site The Pirate Bay, l’un des plus importants sites d’échange et de partage de fichiers Torrent au monde. Les juridictions suédoises avaient conclu que les auteurs avaient rendu possible l’échange de fichiers contrefaisants en violation avec la loi sur le droit d’auteur et que leur intervention dans l’organisation et le fonctionnement du site internet incriminé était telle qu’ils devaient être considérés comme complices des actes de contrefaçon et non pas comme simples prestataires techniques parfaitement neutres ou passifs, étant observé qu’ils n’avaient pas pris aucune mesure pour faire retirer du site les fichiers qui leur avaient été signalés comme violant des droits d’auteur.
Devant la CEDH, les requérants faisaient valoir que leur condamnation constituait une atteinte à leur liberté d’expression, constitutionnellement garantie tant par le droit de l’Union européenne (article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme) que par le droit suédois. Selon la jurisprudence de la Cour, il est en effet établi que la liberté d’expression s’applique autant à l’information transmise ou communiquée qu’au moyen de la véhiculer.
Et la Cour de vérifier, en accord avec l’article 10, si les contraintes ou restrictions à la liberté d’expression sanctionnées par les juridictions suédoises, sous forme de condamnations pénales, étaient bien “prévues par la loi”, “poursuivaient bien un but légitime” au sens dudit article, et constituaient bien “des mesures nécessaires, dans une société démocratique” pour atteindre ce but légitime.
Assez logiquement, la CEDH répondit par l’affirmative à l’ensemble des questions posées, étant rappelé que la protection des droits de propriété intellectuelle est également assurée par la Convention (Article 1 du Protocole additionnel). La Cour estima que la Suède disposait d’une très large marge d’appréciation pour la mise en balance des intérêts en présence et que la préservation et la protection des droits des auteurs justifiait en l’espèce que soient imposées des restrictions à la liberté d’expression des requérants, à hauteur des sanctions prévues et ordonnées.
A la lecture de la décision, il semble notamment que l’indifférence des requérants au fait que leur site internet servait de plateforme d’échanges de fichiers illégaux ait été déterminante pour juger que les peines prononcées à leur encontre étaient proportionnées aux actes commis.
Cela étant, les requérants et autres auteurs du site The Pirate Bay doivent sans doute, dans une certaine mesure, s’estimer heureux que les droits d’auteur soient de temps à autre aussi efficacement protégés puisqu’ils envisageraient d’introduire une action pour copie illicite de leur site internet et contrefaçon de leur logo à l’encontre d’une instance finlandaise de lutte contre le piratage…
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Cet article a également été publié sur le Village de la Justice.