Voilà quelques semaines, une nouvelle avait frémir de nombreux militants : l’auteur de la photographie de Coluche qui était l’étendard de l’association Les Restos du Cœur depuis 1986 lui interdisait de continuer à en faire usage et saisissait la justice à cette fin. Dans les jours qui suivaient, l’association avait fait retirer la photographie de l’ensemble de ses centres.
Selon le photographe Gaston Bergeret, l’autorisation qu’il avait donnée oralement et gratuitement à l’association de faire usage de sa photographie avait été dévoyée au fil du temps et sans que jamais il eût été consulté, en particulier au sujet du dernier spectacle des Enfoirés, diffusé à la télévision en mars 2013. Visiblement dans l’impossibilité de résoudre le différend à l’amiable, il avait alors décidé de saisir les tribunaux civils.
En droit d’auteur, l’on sait que tous les droits qui ne sont pas expressément cédés ou concédés sont réservés à l’auteur. Dès lors que l’autorisation invoquée était orale, on aurait donc pu s’attendre à d’interminables débats pour savoir quels types d’exploitation de la photographie avaient été effectivement autorisés par le photographe et quels étaient en conséquence les usages pour lesquels l’association avait outrepassé ses droits.
Mais il existe deux catégories de droits d’un auteur sur son œuvre. Et si les droits patrimoniaux de l’auteur sont cessibles, c’est-à-dire que l’auteur peut délivrer des autorisations d’exploitation de son œuvre à des tiers, gratuitement ou non, les droits moraux de l’auteur, c’est-à-dire principalement le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre, sont inaliénables et imprescriptibles. En d’autres termes, quels que soient les genres d’exploitation auxquels l’auteur a consenti au préalable, l’exploitant de l’œuvre ne peut jamais, sauf accord exprès de l’auteur ou de ses ayants-droits, modifier l’œuvre de quelque façon que ce soit ou l’exploiter sans mention de son nom.
Et c’est principalement ce que reprochait le photographe aux Restos du Cœur qui, selon lui, avaient parfois transformé et dénaturé sa photographie (recadrages, modification de couleurs), notamment dans le cadre de leur dernière campagne de communication où une moustache avait été dessinée sur le portrait. Le photographe soutenait également que les Restos du Cœur avaient conclu des accords avec des sociétés commerciales portant sur l’exploitation intensive de la photographie, parfois modifiée, usages qu’il estimait inappropriés et non conformes à l’esprit dans lequel son autorisation initiale avait été accordée.
D’ailleurs, Gaston Bergeret faisait valoir qu’il autorisait toujours les Restos du Cœur à utiliser gratuitement sa photographie de Coluche tel que cela avait été initialement consenti, sous réserve qu’elle ne soit pas altérée et qu’il soit clairement identifié comme son auteur, entre autres sur les lieux de distribution de repas.
Ainsi, contrairement à ce qui a pu être écrit, le photographe n’avait pas soudain décidé de tirer profit de l’exploitation de son œuvre, au préjudice de l’association et des actions qui sont les siennes, mais souhaitait justement que l’exploitation de sa photographie se fasse dans un but non lucratif et dans le respect de ses droits moraux. A défaut, ses prérogatives d’auteur lui donne droit à être consulté et rémunéré.
Toujours est-il que fin juillet 2013, les Restos du Cœur ont annoncé par communiqué qu’un accord avait pu être trouvé avec le photographe, les premiers s’engageant apparemment à se montrer plus vigilants dans l’exploitation de la photographie pour qu’elle ne soit pas déformée et le second renonçant à toute indemnisation pour le passé.
Les bonnes œuvres ont besoin de gens de bonne volonté.
© [INSCRIPTA]
Cet article a également été publié sur le Village de la Justice.