Pour être valable, une marque doit être distinctive, c’est-à-dire ne pas décrire les activités visées, car elle doit permettre aux consommateurs de distinguer les produits et services provenant d’une entreprise de ceux ayant une autre origine (1).
Si un signe n’est pas distinctif, il ne pourra donc pas être enregistré en tant que marque (2).
Mais il peut arriver qu’une marque pourtant dûment enregistrée perde son caractère distinctif à force d’un usage trop répandu, tellement que l’on oublie qu’il s’agit d’une marque et qu’elle devient le nom commun du produit qu’elle désigne. C’est ce que l’on appelle la dégénérescence d’une marque (3).
Dans cette hypothèse, si le propriétaire de la marque ne réagit pas et laisse la marque devenir « la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service », il encourt la déchéance de ses droits, c’est-à-dire la nullité de l’enregistrement (4).
Tout l’enjeu pour les propriétaires de marques est donc de mener des actions propres à éviter que leurs marques ne deviennent des noms communs utilisés en toute impunité par le grand public ou par les professionnels du secteur considéré.
Parmi les outils à leur disposition, les titulaires peuvent avant tout informer le public et faire en sorte que leur communication commerciale soit claire, et notamment veiller à ce que leurs marques soient utilisées le plus souvent en association avec des symboles comme ® ou ™, simplement avec une majuscule tels des noms propres, ou bien encore en recourant à des mentions telles que « marque déposée » ou « marque enregistrée » (5).
Les propriétaires de marques doivent également se montrer fermes vis-à-vis des tiers dans les cas d’utilisations non autorisées, en adressant systématiquement des courriers de mise en garde ou de mise en demeure.
Mais parfois, cette attitude ne suffit pas et les grands moyens doivent être employés, en d’autres termes, il ne faut pas hésiter à agir en justice lorsqu’une résistance se fait sentir.
A ce titre, il faut saluer selon nous la décision de la Cour d’appel de Paris d’avoir sanctionné un hebdomadaire pour avoir, à plusieurs reprises et malgré les avertissements du titulaire, continué à utiliser une marque comme s’il s’était agi d’un nom commun ou générique.
Selon les termes de l’arrêt (6), la société MECCANO est « titulaire notamment de deux marques du même nom […] pour désigner, entre autres, des jeux et jouets ». A plusieurs occasions, elle avait averti LE POINT, en réaction à des articles publiés dans l’hebdomadaire, que sa marque MECCANO n’était « pas un terme générique destiné à désigner un jeu de construction ».
Le magazine ayant poursuivi ces utilisations non autorisées de la marque, la société MECCANO l’assigna sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, estimant que l’usage de sa marque « comme un nom commun signifiant système d’assemblage, mécanisme, construction » était non seulement impropre mais surtout « de nature à diluer le pouvoir distinctif ainsi que les valeurs fortes de la marque qu’il lui appartient de protéger ».
Et la cour de suivre le raisonnement de la société MECCANO et de considérer son action comme légitime après avoir constaté qu’au travers des articles du POINT, le terme était « employé comme un mot usuel du langage journalistique […] sans jamais indiquer, d’aucune manière qu’il s’agit d’un nom déposé » et qu’en conséquence « le public sera ainsi incité à croire, au vu des articles en cause, que le signe ‘Meccano’ peut être employé de manière usuelle et généralisée, d’autant qu’il n’y est pas d’un emploi nécessaire dès lors qu’il pourrait facilement être remplacé ». Les juges concluent même, de façon parfaitement claire, que cet usage est « par nature préjudiciable au titulaire de la marque, le caractère distinctif de cette dernière résultant de la perception qu’en a le public ».
Si elle va dans le sens des titulaires de marques, cette décision a de quoi inquiéter les journalistes et éditeurs. Qu’ils soient rassurés, l’utilisation ponctuelle d’une marque déposée en tant que nom commun, souvent faite en toute bonne foi et sans connaissance de droits privatifs attachés au nom, n’est pas condamnable et sera réparée par un Prière d’insérer par exemple.
Mais comme les titulaires de marques, les journalistes et auteurs doivent rester vigilants et centraliser les informations et consignes rédactionnelles en cas de réclamations amiables pour éviter les déconvenues.
© [INSCRIPTA]
(1) L’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) prévoit que : « Sont dépourvus de caractère distinctif : a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ; […] ».
(2) Voir notamment notre récent article au sujet des demandes de marques JE SUIS CHARLIE.
(3) Voir notre article « Perte de droit – Emploi d’une marque à titre de nom commun » et un article plus ancien, « La Pierrade reste une marque », encore disponible sur le site du Village de la Justice.
(4) Article L.714-6 du Code de la propriété intellectuelle (CPI).
(5) Voir notre article « Indicateurs de droits de propriété intellectuelle ».
(6) Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 1, 21 octobre 2014 (RG 13/08736) ; appel de Tribunal de grande instance de Paris, 25 janvier 2013 (RG 11/13338).
Cet article a également été publié sur le site du Village de la Justice.