Le caractère unitaire de la marque de l’Union européenne n’est pas absolu et, même si la contrefaçon d’une marque est reconnue par les tribunaux, l’étendue géographique des sanctions doit s’apprécier à l’aune du risque de confusion entre les deux marques pour le public concerné.
Dès lors, si le risque de confusion entre les marques est limité à certains territoires pour des raisons, notamment linguistiques, les sanctions de la contrefaçon pourront être limitées à ces territoires, comme vient de le préciser la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans un arrêt du 22 septembre 2016 (aff. C-223/15), venant interpréter l’article L.102§1 du Règlement UE 207/2009 :
« Lorsqu’un tribunal des marques de l’Union européenne constate que le défendeur a contrefait ou menacé de contrefaire une marque de l’Union européenne, il rend, sauf s’il y a des raisons particulières de ne pas agir de la sorte, une ordonnance lui interdisant de poursuivre les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon. Il prend également, conformément à la loi nationale, les mesures propres à garantir le respect de cette interdiction. »
Cette question avait été posée dans le cadre d’un litige opposant la marque UE COMBIT enregistrée pour des produits et services dans le domaine de l’informatique à une marque COMMIT apposée sur des logiciels commercialisés en Allemagne.
En appel, la Cour de Düsseldorf (Oberberlandesgericht Düsseldorf) considéra que l’usage du signe verbal COMMIT créait, dans l’esprit du consommateur moyen germanophone, un risque de confusion avec la marque COMBIT, mais qu’il n’y aurait, en revanche, pas de risque de confusion dans l’esprit du consommateur moyen anglophone. En effet, celui-ci pourrait aisément comprendre la différence conceptuelle existant entre, d’une part, le verbe anglais to commit et, d’autre part, le terme COMBIT, ce dernier étant composé des lettres COM pour computer et des lettres BIT pour binary digit. La similitude phonétique entre COMMIT et COMBIT serait, dans l’esprit dudit consommateur anglophone, neutralisée par cette différence conceptuelle.
Cette même juridiction conclut à l’existence d’un risque de confusion dans les États membres germanophones et à l’absence d’un tel risque dans les États membres anglophones et s’interrogea sur la question de savoir de quelle manière il convient, dans une telle situation, de mettre en œuvre le principe du caractère unitaire de la marque de l’Union européenne.
La réponse de la CJUE est logique et pragmatique. Là où il existe un risque de confusion, il y atteinte à la marque de l’UE et les sanctions doivent s’appliquer (interdiction d’usage, paiement de dommages et intérêts, etc.). Là où il n’y a pas de confusion possible, il n’y a évidemment aucune atteinte. La portée territoriale de la marque UE ne s’étend donc pas automatiquement à l’ensemble de l’Union.
La Cour va dans le sens d’une pratique répandue dans le cadre de règlements amiables de litiges opposant des marques Union européenne entre elles ou une marque UE à une marque nationale d’un État membre. En dépit du caractère unitaire de la marque de l’Union européenne, la coexistence est parfois organisée en fonction d’une répartition territoriale de l’exploitation de chaque marque dépendant des circonstances d’espèce.
En revanche, lorsqu’aucun accord de ce type ne peut être trouvé et lorsqu’une opposition à l’encontre d’une demande de marque de l’UE est basée sur l’atteinte à une marque de l’UE antérieure, même si le risque de confusion est limité à une partie de l’Union :
- La demande de marque UE est refusée à l’enregistrement, ce qui est logique puisqu’il s’agit d’une seule et même marque ; mais aussi
- Toute transformation de la marque est exclue, y compris dans les pays où il n’y a pas de risque de confusion entre les marques, en application de la règle 45 paragraphe 4 du Règlement d’exécution de la marque de l’UE (REMUE) :
« Si l’Office ou un tribunal des marques communautaires a rejeté la demande de marque communautaire ou a déclaré la marque communautaire nulle pour des motifs absolus par référence à la langue d’un État membre, la transformation est exclue en vertu de l’article 108, paragraphe 2, du règlement pour tous les États membres dans lesquels cette langue est l’une des langues officielles. Si l’Office ou un tribunal des marques communautaires a rejeté la demande de marque communautaire ou a déclaré la marque communautaire nulle pour des motifs absolus qui s’appliquent dans l’ensemble de la Communauté ou compte tenu d’une marque communautaire antérieure ou d’un autre droit communautaire de propriété industrielle, la transformation est exclue en vertu de l’article 108, paragraphe 2, du règlement pour tous les États membres. »
Une marque de l’UE est donc protégée de façon unitaire sur le plan administratif (registre des marques), mais pas forcément sur le plan judiciaire (atteinte à la marque et sanctions de la contrefaçon).
La stratégie de protection et de défense des marques doit être étudiée et établie en fonction de ces facteurs.
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