Sommes-nous en présence de contrefaçon lorsque la marque contestée est constituée de la juxtaposition, d’une part, de la dénomination de l’entreprise du déposant et, d’autre part, d’une marque tierce enregistrée ?
Oui, semblent désormais décider les tribunaux tant communautaires que français, si les conditions suivantes sont remplies :
- La marque reproduite a un caractère distinctif normal ;
- La marque reproduite conserve au sein de la marque seconde « une position distinctive autonome », c’est-à-dire (i) qu’elle ne forme pas avec les autres éléments un tout dont elle deviendrait indissociable et (ii) que le consommateur des produits et services la percevra en tant que telle.
Cette interprétation avait été proposée par la Cour de justice de l’Union européenne le 6 octobre 2005 dans un fameux arrêt (1) opposant la marque LIFE de la société MEDION à la demande de marque THOMSON LIFE. La Cour avait alors interprété ainsi la législation en matière de marque :
« L’appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l’impression d’ensemble produite par celles-ci, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants. La perception des marques qu’a le consommateur moyen des produits ou services en cause joue un rôle déterminant dans l’appréciation globale dudit risque.
Dans le cadre de l’examen de l’existence d’un risque de confusion, l’appréciation de la similitude entre deux marques ne revient pas à prendre en considération uniquement un composant d’une marque complexe et à le comparer avec une autre marque. Il y a lieu, au contraire, d’opérer la comparaison en examinant les marques en cause, considérées chacune dans son ensemble, ce qui n’exclut pas que l’impression d’ensemble produite dans la mémoire du public pertinent par une marque complexe puisse, dans certaines circonstances, être dominée par un ou plusieurs de ses composants.
Cependant, au-delà du cas habituel dans lequel le consommateur moyen perçoit une marque comme un tout, et nonobstant la circonstance que l’impression d’ensemble puisse être dominée par un ou plusieurs composants d’une marque complexe, il n’est nullement exclu que, dans un cas particulier, une marque antérieure, utilisée par un tiers dans un signe composé comprenant la dénomination de l’entreprise de ce tiers, conserve une position distinctive autonome dans le signe composé, sans pour autant en constituer l’élément dominant.
[…] Tel serait le cas, par exemple, lorsque le titulaire d’une marque renommée fait usage d’un signe composé juxtaposant cette dernière et une marque antérieure qui n’est pas elle-même renommée. »
En l’occurrence, l’adjonction de THOMSON à la marque existante LIFE ne suffisait pas à empêcher la confusion entre les marques pour le public concerné, puisque THOMSON, certes notoire, n’était qu’une marque ombrelle, et que chacun comprendrait que la marque identifiant le produit concerné était LIFE.
Cette jurisprudence, pour opportune qu’elle soit compte tenu du cas d’espèce, vint poser une exception au principe selon lequel les marques doivent être comparées dans leur ensemble en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants et ouvrit une boîte de Pandore.
Les titulaires de marque reproduites, voyant ainsi une occasion de faire valoir leurs droits, se sont engouffrés dans cette brèche, alors même que les situations n’étaient bien souvent pas transposables.
Les tribunaux français appliquent avec parcimonie cette jurisprudence, évitant ainsi de retomber dans l’écueil des anciennes formulations de « reproduction avec adjonction inopérante », abandonnées depuis une décennie, pour se conformer à l’appréciation d’ensemble du risque de confusion entre les marques considérées dans leur globalité, selon la méthodologie prônée par les juridictions communautaires.
Deux exemples récents viennent néanmoins apporter des éclairages intéressants, notamment au regard du degré de distinctivité de l’élément reproduit (décision LONCAR SUNLESS contre SUNLESS), et de la perception par le public considéré de la marque (décision e.on / Hyundai Eon).
Récemment, là où le Directeur de l’INPI, dans le cadre d’une opposition formée par le titulaire de la marque e.on à l’encontre de l’enregistrement de la marque française HYUNDAI EON pour des produits identiques, avait réfuté tout risque de confusion pour le public concerné, la cour d’appel (2) a au contraire considéré qu’il existait un risque de confusion entre les deux signes. Les juges se réfèrent expressément au critère de position distinctive autonome dans les termes suivants :
« Le caractère distinctif et dominant de l’élément dominant Hyundai dont se prévaut la société Hyundai Motor Company n’est pas de nature à exclure le risque d’association qui résulte de la juxtaposition de la marque HYUNDAI et de la marque antérieure e.on dotée d’un pouvoir distinctif normal et qui conserve dans le signe contesté HYUNDAI EON une position distinctive autonome ».
Il s’agissait en l’espèce de véhicules automobiles, et les habitudes des consommateurs dans le secteur considéré ont semble-t-il été déterminantes. La cour a en effet estimé que le public concerné étant habitué à voir associer la marque produit et la marque constructeur, il identifierait l’une et l’autre au sein du signe HYUNDAI EON et percevrait l’élément EON comme un élément distinctif, malgré le caractère dominant de HYUNDAI du fait de sa notoriété et de sa position première au sein de la marque. Le nom HYUNDAI n’était dès lors pas suffisant pour écarter le risque de confusion entre les deux signes e.on et EON.
Autre décision, cette fois communautaire, dans un tout autre domaine.
La société LONCAR, titulaire de la marque communautaire LONCAR-SUNLESS enregistrée notamment pour des bâches et voiles forma opposition à l’encontre de l’enregistrement de la demande de marque communautaire , déposée pour des marquises, stores, rideaux et jalousies. L’action fut accueillie par la division d’opposition et la chambre de recours de l’office des marques communautaire et le déposant forma un recours devant le Tribunal de première instance (3).
Les juges considèrent « que l’élément verbal « sunless » occupe dans les deux marques une position distinctive autonome et qu’il constitue, pour les consommateurs, le point de référence principal dans leur comparaison […]. Il existe un risque élevé de confusion entre ces marques. »
L’argument relatif au caractère descriptif de SUNLESS appliqué à des rideaux et stores, dont la fonction même est de laisser entrer moins de soleil dans la pièce qu’ils équipent, n’est pas retenu par le Tribunal, qui estime que l’élément LESS ne sera pas compris du public non anglophone. Compte tenu du caractère unitaire de la marque communautaire, le risque de confusion pour une partie du public seulement suffit à rejeter la demande de marque à l’enregistrement.
On voit d’ailleurs ici combien déposer une marque dont le seul élément verbal est très évocateur peut mettre un déposant dans une position délicate en cas d’opposition : soit invoquer le caractère descriptif de l’élément verbal et risquer un nouvel examen entraînant le refus de la marque pour défaut de distinctivité, soit reconnaître le caractère distinctif et admettre implicitement l’atteinte à la marque première (4).
Une remarque sur cette décision : le Tribunal retient que « la marque antérieure en question étant verbale, elle est susceptible d’être utilisée par son titulaire sous des représentations graphiques différentes […]. Rien ne s’oppose notamment à ce qu’elle soit présentée avec les mêmes caractères d’écriture que la marque demandée. » Cet argument potestatif, alors que les marques doivent être comparées telles que déposées, est à notre sens contestable.
Comment dès lors analyser l’existence ou non d’un risque de confusion entre deux signes ?
Lors de la comparaison entre deux marques, dont l’une reproduit l’autre avec l’adjonction d’un élément supplémentaire, il convient de considérer les marques dans leur ensemble en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants. Si la partie reproduite n’est pas dominante, le risque de confusion sera difficilement admis. Exception à ce principe : dans certaines circonstances, même si l’élément commun n’est pas dominant au sein de la marque complexe, il gardera quand même une certaine force attractive pour le public du fait de sa position distinctive autonome.
Ainsi, adjoindre sa dénomination sociale, même particulièrement connue et reconnue, à une marque de produit (pratique des marques ombrelles) ne constitue pas l’assurance que la marque ne portera pas atteinte à des droits antérieurs, et cela même si la marque de produit paraît être très évocatrice.
Une recherche d’antériorité au minimum à l’identique, effectuée par un professionnel spécialisé pour apprécier chaque situation au regard des différents et subtils critères dégagés par la jurisprudence, est indispensable avant tout dépôt ou commencement d’exploitation.
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(1) CJUE, 6 oct. 2005, Medion AG contre Thomson multimedia Sales Germany & Austria GmbH, aff. C-120/04.
(2) CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 déc. 2012 E.ON Ag (Allemagne) contre Directeur général de l’INPI et HYUNDAI MOTOR COMPANY (Corée du Sud) – RG 2012/05489 – Annulation de Directeur général de l’INPI, 22 déc. 2011, 11/2884).
(3) TPIUE, 29 jan. 2013, Thomas Müller contre OHMI et Loncar, SL, aff. T‑662/11.
(4) Voir en ce sens TPIUE, 18 oct. 2007, Ekabe International SCA c/ OHMI et Ebro Puleva, PULEVA OMEGA 3 / OMEGA 3 (et logo), aff.T‑28/05).
© [INSCRIPTA]
Cet article a également été publié sur le Village de la Justice.