En France comme dans de très nombreux pays, le défaut d’exploitation sérieuse d’une marque peut conduire à sa nullité. C’est la règle édictée par l’article L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle, en vertu duquel « Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans. »
On parle souvent d’obligation d’usage d’une marque. C’est effectivement le cas dans certains pays. Aux Etats-Unis par exemple, cela se traduit par l’obligation de déposer, à intervalles réguliers, auprès du United States Patent and Trademark Office (USPTO), une déclaration solennelle en vertu de laquelle le propriétaire d’une marque déclare utiliser ou continuer à utiliser sa marque pour les produits et services désignés dans l’enregistrement, laquelle déclaration doit être accompagnée de preuves d’usage de la marque en question. Le défaut d’accomplissement de cette formalité provoque la radiation de l’enregistrement.
En droit français comme en droit communautaire (Voir l’article 19 de la Directive (UE) 2015/2436 du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques, et l’article 58 du Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne), il n’existe pas de véritable obligation positive d’usage d’une marque mais plutôt l’application d’une sanction contre le défaut d’usage d’une marque. Cette sanction de déchéance des droits du propriétaire sur sa marque sera souvent invoquée à titre reconventionnel, comme moyen de défense, dans le cadre d’une procédure judiciaire en contrefaçon de marque ou dans le cadre d’une procédure administrative en opposition à enregistrement. Elle peut également être demandée à titre principal, par exemple par un concurrent souhaitant voir disparaître un titre susceptible d’entraver le développement de son activité.
Le risque de déchéance de leurs droits pousse certains propriétaires de marques à redéposer régulièrement les mêmes marques. L’annulation de la marque pour défaut d’exploitation étant susceptible de survenir au-delà du cinquième anniversaire de l’enregistrement d’une marque au sein de l’Union européenne, il est tentant de procéder à un nouveau dépôt, identique ou quasiment identique au précédent, pour faire repartir le compteur à zéro et ainsi indéfiniment prolonger la période de cinq ans pendant laquelle le défaut d’usage n’est pas sanctionnable.
Cette pratique est cependant, à l’évidence, entachée de mauvaise foi car les propriétaires des marques en question ne déposent pas pour les bonnes raisons. Ils ne déposent pas dans l’optique d’exploiter une marque, mais seulement dans l’optique de faire échec à une éventuelle (ou pressentie) demande en annulation pour défaut d’usage.
Très récemment, cette pratique a été sanctionnée par une chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) à l’encontre d’une marque MONOPOLY de la société américaine HASBRO, partiellement annulée en relation avec les produits et services qui avaient déjà fait l’objet d’enregistrements précédents mais pour lesquels la marque n’avait pas été exploitée (décision de la deuxième chambre de recours du 22 juillet 2019, affaire R 1849/2017-2). L’Office a analysé le comportement de HASBRO comme manifestement destiné à contourner l’obligation de prouver l’usage de ses marques antérieures et comme dénaturant et déséquilibrant le système de la marque de l’Union européenne.
Quand bien même l’intention d’usage d’une marque n’est pas effectivement contrôlée au moment du dépôt d’une marque dans l’Union européenne, déposer une marque sans intention de l’utiliser caractérise la mauvaise foi du déposant et doit être sanctionné… Mais cela reste très théorique car, en pratique, les déposants peuvent assez facilement exploiter les failles du système.
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